Dune équipe ou dun sportif dont la présence à tel tournoi est inattendue, dun homme politique dont la carrière progresse spectaculairement, dun chef dEtat ayant nouvellement accès aux instances dirigeantes où il navait pas encore sa place (G8, sommets européens), on entend dire : «Il joue désormais dans la cour des grands.»
Métaphore scolaire qui sent bon son potache : cour avec quelques marronniers ou tilleuls, un espace libre avec buts pour le foot (ou le hand), support de panier pour le basket et voilà pour le lieu. Des cris, des bousculades (les Grands sont «forts», «ils sont brutaux») et sur un bord, timide, incrédule, un peu terrifié aussi, un «petit» qui vient de quitter sa cour, son monde on a presque envie de dire sa mère
Nest-ce pas attendrissant ?
Cette présence dans le monde des grands tient de la promotion (adieu ! disgracieuse culotte courte !) patiemment ou impatiemment attendue (ton heure viendra, sois patient(e) !) ; promotion donc joie : à mon tour, de crier, de taper fort (sur le ballon ou sur autrui), à mon tour davoir des privilèges, voire de faire la loi. Plus que de promotion, cest presque dassomption quil sagit. Il nest personne qui nait connu ce moment daccès à une vie jugée à tort ou à raison enviable, que lon na fait que voir de lextérieur et qui vous devient disponible, qui est maintenant la vôtre : cest pourquoi lexpression semble si innocente.
Mais lest-elle vraiment quand on lapplique au sens figuré, métaphoriquement ? Si on lapplique à un sportif ou à une équipe, sans doute « jouer » nest pas dit à contre-emploi. Le tennisman qui joue sur le court des grands pardon du mot - connaît certes son heure de gloire ; mais il connaîtra aussi les revers pardon, décidément
du spectacle : matches arrangés, dopage, pressions des media et des sponsors. Est-ce vraiment cela quil voulait ?
Et pour lhomme politique qui accède à une haute responsabilité, pour le gouvernant qui accède enfin ! - aux instances internationales, est-ce quils jouent? Censément non, puisquil en va des affaires dun pays, voire dune région du monde ou du monde même. Peut-être cependant quil joue, lui aussi : il joue au grand, la tête lui en tourne, il en bafouille devant les caméras : songez un peu : hier obscur ou anonyme et maintenant maître du monde !
Joie enfantine, certes, mais dérisoire : si haut, disait Montaigne, quon soit assis, cest toujours sur son cul. Descends de ton nuage, mon petit bonhomme ! Tu vas te faire mal
Que veut-on dire lorsqu'on affirme: "Pierre qui roule n'amasse pas mousse" ?