Rencontre > émotion > instantané > partage - si je ne me trompe pas sur la vocation de « transmission affective » de ce fil, peut-être alors est-il loisible d'ajouter un dernier maillon à cette chaîne  > réaction (le faire-part écrit d'une réception affective personnelle) ? - J'en avais risqué un tel dans l'espace technique du «
Labo» en réaction à l'instantané fondateur de 
Jura qui débute ce fil (☞
Aperçu de St Claude☜) - j'aimerais aujourd'hui laisser courir ma prose à propos de cette autre image des commencements :
sans qu'il s'y agisse de « forme » mais de « fond ».
Longtemps, j'ai marché sur l'
Aubrac. En rayonnant autour de ce foyer d'altitude : le village de 
Nasbinals. J'étais en quête d'un paysage littéraire, construit par les phrases de 
Julien Gracq dans les « 
Carnets du Grand Chemin » :
« Rarement je pense au Cézallier, à l’Aubrac, sans que s’ébauche en moi un mouvement très singulier qui donne corps à mon souvenir : sur ces hauts plateaux déployés où la pesanteur semble se réduire comme sur une mer de la lune, un vertige horizontal se déclenche en moi qui, comme l’autre à tomber, m’incite à y courir, à y rouler, à perte de vue, à perdre haleine...
« Tout ce qui subsiste d’intégralement exotique dans le paysage français me semble toujours cantonner là : c’est comme un morceau de continent chauve et brusquement exondé qui ferait surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagères qui sont la banalité de notre terroir. Tonsures sacramentelles, austères, dans notre chevelu arborescent si continu, images d’un dépouillement presque spiritualisé du paysage, qui mêlent indissolublement, à l’usage du promeneur, sentiment d’altitude et sentiment d’élévation. 
Parce que dans ce paysage, on a le sentiment qu’on peut aller partout, on a une impression de liberté étonnante. C’est ce qui fait pour moi le charme des grands plateaux comme ceux de l’Aubrac….  » 
En somme, le paysage de l'
Aubrac combinerait 
exaltation de l'altitude et 
ouverture en latitude pour transformer la marche à l'horizontale en montée au Ciel. Marcher a toujours été pour moi l'équivalent de partir en quête d'aventure spirituelle. L'attente que les mots de 
Gracq avait levée en moi, elle s'est trouvée 
contrariée sur l'
Aubrac.
L'
Aubrac suscite bien une 
exaltation de l'altitude : impression d'
altiplano - de prairie suspendue dans les hauteurs du Ciel. Mais l'
ouverture en latitude que 
Gracq invoque simultanément : l'impression de pouvoir aller en liberté à l'horizontale, elle se trouve puissamment contrariée par la présence de l'obstacle. Ce que révèle la photo de 
Luc : partout le paysage plan se trouve barré par des clôtures : ces murettes de pierres sèches que l'on appelle des 
drailles, surmontées de barbelés, qui délimitent des pâtures.
Cette aire que couvrait entièrement la grande 
Forêt Celtique, les moines d'
Aubrac au 
Moyen-Âge en ont fait par déforestation une prairie. Cette prairie, la grande propriété foncière de la vallée du 
Lot  l'a découpée en pâtures privées dont les clôtures barrent partout la perspective libre du regard qui précède l'avancée de la marche, confinée à suivre des chemins pierreux entre des barrières.
Les bornes humaines de la propriété privée verrouillent partout l'horizontalité de l'
Aubrac, frustrant le sentiment d'exaltation spirituelle de l'altitude. J'ai 
souffert sur l'
Aubrac, d'un blocage de l'imaginaire devant cette matérialisation violente de l'obstacle humain.