TD Droit constitutionnel
21 mars 2006 Séance n°16
Dissertation
Groupe n°1
- Plan détaillé -
«*La loi sous la Ve République*»
Attention*! Ce corrigé n’a qu’une valeur indicative*: c’est un outil de révision…
Introduction*:
«*La loi est l’expression de la volonté générale*». Enoncée dans l’article 6 de la DDHC en 1789, cette conception est issue des idées rousseauistes, théorisées ensuite par Raymond Carré de Malberg dans son ouvrage La loi, expression de la volonté générale. La tradition française a ainsi fait de la loi la norme suprême, inconditionnée, irréductible et incontrôlable à laquelle aucune autre norme ne peut porter atteinte.
En rupture avec cette longue tradition française, la Ve République introduit une innovation radicale*: elle enferme la loi dans un domaine précis, défini, limité et l’insère dans une hiérarchie des normes par le biais du contrôle de constitutionnalité. Néanmoins, cette révolution juridique est à nuancer. En effet, elle trouve ses origines dans les décrets-lois de la IIIe République, et s’agissant de la IVe République, dans la loi du 17 août 1948 ou dans l’avis du Conseil d’Etat de 1953, qui battaient déjà en brèche la compétence de droit commun de la loi.
En déterminant précisément le domaine de la loi, la Constitution de 1958 distingue ainsi la définition formelle de la définition matérielle de la loi. Les deux ne coïncident plus puisque la loi n’est pas seulement caractérisée comme l’œuvre d’un Parlement, seul dépositaire de la volonté générale. Certes, l’article 34 reprend la définition traditionnelle et dispose que la loi est votée par le Parlement. Mais ce faisant, il s’avère inexact, puisqu’il omet d’emblée les lois référendaires, les ordonnances de l’article 38 ou les actes pris en période d’application de l’article 16. Par conséquent, cette définition formelle doit être complétée par une définition matérielle*: la loi devient ainsi tout acte posant une règle générale permanente dans un domaine attribué au législatif.
Il s’agit alors de cerner dans quelle mesure cette définition matérielle de la loi est parvenue à s’imposer, en vue d’estimer si la révolution juridique annoncée a été effective au regard de la pratique depuis 1958.
A cette fin, il faut établir le constat que la loi sous la Ve République ne relève plus exclusivement du Parlement. Et quand bien même elle est l’œuvre du Législateur traditionnel, il est à démontrer que son élaboration s’effectue à la fois sous la dictée de l’exécutif et la correction du Conseil constitutionnel.
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I – La loi ne relève plus exclusivement du Parlement
L’article 34 énonce que la loi est votée par le Parlement. En cela, il inscrit la Constitution de 1958 dans la continuité de la conception traditionnelle de la loi.
Cette disposition est cependant bien loin de correspondre à la réalité institutionnelle et pratique de la loi sous la Ve République, caractérisée par la limitation des compétences du Parlement, voire la confiscation de son rôle législatif.
Une compétence limitée du Parlement
> Art. 34 de la Constitution de 1958*: énumération des matières réservées à la loi. Dans certaines matières, la loi fixe les règles mais pour d’autres, elle ne fait qu’édicter des principes fondamentaux, le pouvoir réglementaire disposant d’une compétence subsidiaire pour édicter les règles. Cependant, cet article ne résume pas à lui seul tout le domaine de la loi, d’autres articles imposant également le recours à la loi – souvent de manière redondante. Par ailleurs, le Préambule de la Constitution renvoie aussi bien au Préambule de 1946 qu’à la Déclaration de 1789, qui font également fréquemment référence à la loi.
> Le Conseil constitutionnel lui-même est venu réduire la distinction entre les articles 34 et 37, par une décision du 30 juillet 1982, dans laquelle il affirme que la «*Constitution n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi*». Il a ainsi consacré l’abandon de la définition matérielle de la loi, qui peut aussi porter sur des dispositions relevant normalement du domaine du règlement.
Une compétence confisquée au Parlement
Cf. art. 92 de la Constitution de 1958 (abrogé par la loi constitutionnelle du 4 août 1995)*: le gouvernement pouvait légiférer par voie d’ordonnances pour mettre en place la nouvelle Constitution (320 ordonnances émises), ces ordonnances pouvant porter sur les organes et toutes les institutions de la nation
Parallèlement, le Parlement peut être dessaisi de sa compétence au profit*:
> du peuple par l’article 11 (préciser les modalités de recours et son champ d’application)*;
> du président de la République en période d’application de l’article 16, qui prévoit la concentration de la totalité des pouvoirs entre les mains du chef de l’Etat*;
> du gouvernement, par les ordonnances de l’article 38, qui permettent au gouvernement de légiférer en lieu et place du Parlement si celui-ci est consentant, la seule exigence impliquant le Parlement étant le dépôt et le vote du projet de loi d’habilitation.
Transition*:
Si la loi ne relève plus totalement de la compétence du Parlement – ce qui était également le cas dans la pratique des Républiques antérieures avec les décrets-lois et autres lois d’habilitation de l’exécutif à légiférer, la révolution juridique annoncée de la délimitation des domaines de la loi et du règlement a finalement été un coup d’épée dans l’eau*: la loi a quasiment recouvré la plénitude de son domaine d’action.
Pour autant, certaines évolutions engagées par la Constitution de 1958 vont effectivement recevoir leur concrétisation, modifiant la conception et la pratique de la loi sous la Ve République.
II – Une œuvre parlementaire rationalisée et contrôlée
C’est sans doute dans la rationalisation et le contrôle de constitutionnalité des lois que se situe la réalité de la révolution juridique annoncée en 1958.
Paradoxalement, alors que les Constituants s’étaient focalisés sur le domaine de la loi, c’est bien l’installation – notamment par la pratique – d’un véritable contrôle de constitutionnalité qui constitue l’innovation majeure de la loi sous la Ve République
La loi sous la dictée de l’exécutif
Le gouvernement peut orienter, voire décider de la procédure législative*: il détient en effet l’initiative, la maîtrise de l’ordre du jour, la possibilité de s’opposer aux amendements, la procédure du vote bloqué, la maîtrise de la navette, la réunion de la CMP, la décision de faire statuer l’Assemblée nationale en dernier ressort, la déclaration de l’urgence, l’adoption d’un texte sans vote (49.3).
De son côté, le Président peut également demander une nouvelle délibération (art.10), consacrant une sorte de veto présidentiel provisoire en matière législative, quoique très peu usité.
Avec l’émergence du fait majoritaire, la loi devient très politisée*: elle fait l’objet d’effet d’annonce et du souci politique de voir une loi porter son nom… Cette politisation s’avère néanmoins problématique au regard de l’inflation législative*: c’est ce que le Conseil d’Etat souligne depuis une quinzaine d’années dans ses rapports annuels.
La loi sous la contrôle du Conseil constitutionnel
Rappeler l’omnipotence grandissante du Conseil dans la pratique de la loi, avec l’affirmation progressive de son pouvoir de contrôle, voire d’interprétation.
> S’agissant des ordonnances (art.38), il vérifie que la délégation n’est pas trop imprécise*: ce fut le cas notamment en 1986 sur les privatisations _ contre-pouvoir face à la majorité.
> En tant que «*chien de garde de l’exécutif*», il disqualifie une disposition législative qui serait intervenue dans le domaine réglementaire. Quand le gouvernement veut modifier un texte, il peut demander au Conseil de déclarer que ceux-ci portent bien sur des matières réglementaires (art 37.1).
De plus, le contrôle de constitutionnalité des lois a été renforcé par deux facteurs majeurs*:
1/ L’introduction de l’ensemble du Préambule dans le bloc de constitutionnalité par la décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association.
2/ La révision d’octobre 1974 sur la saisine, l’étendant à soixante députés ou sénateurs, ce qui consacre le rôle de contrôle de l’opposition en matière législative.
A cela s’ajoutent les méthodes développées par le Conseil, comme l’introduction dans ses décisions de «*réserves d’interprétation*» dont la portée peut être neutralisante, ou au contraire constructive, lorsqu’elles s’apparentent à une directive.
_ D’où critique de cette puissance dévolue au Conseil, qui agite le spectre d’un «*gouvernement des juges*» (à nuancer car désormais en recul)
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Conclusion*:
La révolution apparente de 1958 semble avoir été neutralisée en pratique, sous l’effet des circonstances politiques et du fait majoritaire. Néanmoins, la loi a subi une évolution certaine sous la Ve République.
Si le domaine de la loi tend à perdre son caractère de domaine d’attribution, la véritable innovation réside dans le fait que c’est le gouvernement et lui seul qui détermine les conditions d’intervention du législateur, et surtout dans le fait que la loi s’inscrit dans une hiérarchie des normes affermie.
La loi n’en demeure pas moins une question problématique, à l’image de l’inflation législative dénoncée de manière récurrente par le Conseil d’Etat, et en raison de l’influence croissante du droit communautaire sur la production législative nationale.