Paris, années soixante-dix,
Avec quelques craquètements assourdis, le diamant paraît chercher sa voie sur le microsillon du vieux disque usé. Puis un hautbois, soutenu par des bassons et un cor d’harmonie, lance l’introduction du Lac des cygnes en moderato assai, bientôt rejoint par les cordes.
Seule dans le petit salon plongé dans la pénombre, une vieille dame à la silhouette élancée et aux cheveux blancs ramassés en un chignon parfait est assise dans un moelleux fauteuil tendu de chintz, les jambes couvertes d’un plaid. Elle écoute la mélodie, les yeux mi-clos, transportée dès les premières notes vers un passé depuis longtemps révolu.
En quelques secondes, des images et impressions de sa vie défilent dans son esprit, depuis les dures années de labeur à l’école impériale de ballet jusqu’à l’immense scène du théâtre Mariinski à Saint-Petersbourg, depuis les rôles de figurante sous la houlette de Marius Petipa jusqu’à la consécration comme prima ballerina assoluta, depuis l’anonymat des dîners frugaux avec la troupe jusqu’à l’adulation prodiguée dans les réceptions par les plus grands, et, parvenue au firmament, après chaque représentation, le chemin parsemé de pétales de roses jusqu’à la loge emplie de bouquets de fleurs, le tsarévitch et les grands-ducs Romanov qui l’attendent en coulisse, les amours, la naissance de son fils Vladimir…
Comme pour annoncer les années les plus difficiles, l’électrophone entame la lecture de la plage suivante, l’allegro giusto de la première scène de l’acte I ; elle revit alors les plus sombres souvenirs, la révolution de février, la révolution d’octobre, la misère et les privations subies, et le dur exil, loin de la Russie.
Elle pense ensuite à la nouvelle vie qu’elle a construite dès son arrivée en France, d’abord sur la Riviera, puis son mariage avec le grand-duc désargenté André, l’ouverture à Paris de sa propre école de danse qui leur a permis de faire bouillir la marmite : une nouvelle vie, modeste et bien remplie…
Mais, à l’aube de ses 99 ans, malgré sa condition physique relativement bonne, elle se sent trop seule et déracinée, elle est prête à répondre à l’appel de son défunt André dont elle croit reconnaître les douces intonations dans l’harmonie des violoncelles : « Matilda…! » semble l’interpeller cette voix profonde sortie des limbes.
« J’arrive », murmure la vieille dame…
Très librement inspiré de la vie de Mathilde Kschessinska
Avec quelques craquètements assourdis, le diamant paraît chercher sa voie sur le microsillon du vieux disque usé. Puis un hautbois, soutenu par des bassons et un cor d’harmonie, lance l’introduction du Lac des cygnes en moderato assai, bientôt rejoint par les cordes.
Seule dans le petit salon plongé dans la pénombre, une vieille dame à la silhouette élancée et aux cheveux blancs ramassés en un chignon parfait est assise dans un moelleux fauteuil tendu de chintz, les jambes couvertes d’un plaid. Elle écoute la mélodie, les yeux mi-clos, transportée dès les premières notes vers un passé depuis longtemps révolu.
En quelques secondes, des images et impressions de sa vie défilent dans son esprit, depuis les dures années de labeur à l’école impériale de ballet jusqu’à l’immense scène du théâtre Mariinski à Saint-Petersbourg, depuis les rôles de figurante sous la houlette de Marius Petipa jusqu’à la consécration comme prima ballerina assoluta, depuis l’anonymat des dîners frugaux avec la troupe jusqu’à l’adulation prodiguée dans les réceptions par les plus grands, et, parvenue au firmament, après chaque représentation, le chemin parsemé de pétales de roses jusqu’à la loge emplie de bouquets de fleurs, le tsarévitch et les grands-ducs Romanov qui l’attendent en coulisse, les amours, la naissance de son fils Vladimir…
Comme pour annoncer les années les plus difficiles, l’électrophone entame la lecture de la plage suivante, l’allegro giusto de la première scène de l’acte I ; elle revit alors les plus sombres souvenirs, la révolution de février, la révolution d’octobre, la misère et les privations subies, et le dur exil, loin de la Russie.
Elle pense ensuite à la nouvelle vie qu’elle a construite dès son arrivée en France, d’abord sur la Riviera, puis son mariage avec le grand-duc désargenté André, l’ouverture à Paris de sa propre école de danse qui leur a permis de faire bouillir la marmite : une nouvelle vie, modeste et bien remplie…
Mais, à l’aube de ses 99 ans, malgré sa condition physique relativement bonne, elle se sent trop seule et déracinée, elle est prête à répondre à l’appel de son défunt André dont elle croit reconnaître les douces intonations dans l’harmonie des violoncelles : « Matilda…! » semble l’interpeller cette voix profonde sortie des limbes.
« J’arrive », murmure la vieille dame…
Très librement inspiré de la vie de Mathilde Kschessinska