Je me souviens de la pompe à eau dont il fallait actionner le manche pour se laver les mains avant de s'asseoir à table, le bruit de l'eau qui résonnait en remplissant la cuvette émaillée avec son liseré dentelé bleu de Prusse sur le bord...
Je me souviens du vieux poste de radio, avec son gros oeil vert qui me fascinait, et son loup en bronze posé dessus...
Je me souviens du ruban englué au dessus de la table, sur lequel venait mourir les mouches...
je me souviens de l'odeur des tartes à la mirabelle qui refroidissait sous un torchon brodé sur un coin de la cuisinière à charbon de la cuisine...
Je me souviens de ces douilles d'obus plus grandes qu'un vase, toutes rutilantes, que mon arrière grand-mère frottait tout les jeudis, en s'arrêtant toujours quelques minutes pour caresser de ses vieilles mains tachées le chardon et la croix de Lorraine qui y avaient été sculpté...
Je me souviens du pot de chambre en fer émaillé bleu que j'avais toujours peur de renverser quand je l'utilisais, et qu'on cachait derrière le paravent du cagibi qui faisait office de salle de bain...
Je me souviens des pierres qui pavaient l'ancienne écurie, elles brillaient, même dans le noir, énormes et dangereuses pour les chevilles, toutes douces sous la main...
Je me souviens de se portrait d'homme moustachu dans la chambre, droit, fier, presque vivant, que je n'ai jamais vu...
Je me souviens de l'odeur de cire dans cette chambre, de cire et aussi de quelque chose d'autre qu'à l'époque je ne savais pas encore identifier, des deux napperons en dentelles sur le rebord de la fenêtre et du bouquet de fleurs qu'on changeait tout les dimanches...
Je me souvient du puits, dans le jardin, fermé par une grande plaque en fer noircie...
Je me souviens de cette balle de fusil que je trouvais par terre, toute verte, pointue, que je perdais dans l'heure qui suivait...
Je me souviens des cailloux blancs dans les allées du jardin potager, des cassis à la peau épaisse chauffés par le soleil qui me laissaient des traces violettes sur le menton, c'était sucré et plein de grains à l'intérieur qui restaient coincés entre les dents...
Je me souviens des escargots qui se cachaient dans les herbes du jardin...
Je me souviens de l'odeur de la mousse qui séchait sur les rondins de bois contre le mur du verger, en face de la maison...
Je me souviens des noyaux de d'abricots que l'on cassait avec Marc, le petit voisin, pour récupérer les amandes, assis tous les deux sur le trottoir devant la maison...
Je me souviens de la girouette du clocher de l'église, un coq immense et ses flèches cardinales...
Je me souviens du lapin cloué sur la porte de la grange, mon arrière grand-mère le déshabillant en un rien de temps, le sang qui coulait et tachait le sol, la peau que plus tard elle laissait sécher, pendue dans l'écurie...
Je me souviens de l'odeur des foins, de la chaleur et de la transpirations qui collait ma chemise, des sauterelles qu'on cherchait à attraper dans l'herbe...
Je me souviens du retour des vaches, qui laissaient derrière elles la rue jonchées de bouses fraîches, et de la fontaine au bout de la rue où elles allaient boire avant la traite du soir. Il y avait plein de mousse au fond de la fontaine...
Je me souviens du Totor... :affraid: Le propriétaire des vaches, de sa grosse voix qui interpellait les gens sur son passage. il ne criait pas non, c'était sa façon à lui de parler, mais j'en avait peur. Il était noir de soleil et de crasse, d'épais sourcils qui lui faisait un regard dur et doux à la fois...
Je me souviens de la chaleur moite dans son étable, des mouches sur les yeux des vaches, de l'odeur du lait fumant qui se mélangeait à celle des bêtes, du bruit du lait qui giclait dans le seau, pchiiiit pchiiiit...
Je me souviens de la plaine qui rougissait le soir, des bruits de la route, au loin, très loin, qui montait et qui parfois laissaient deviner un camion ou une voiture, mais le plus souvent un tracteur rentrant sa remorque de bottes de pailles, des cloches qui se répondent au loin quand tombe la nuit...
Je me souviens que j'étais heureux là-bas, avec cette vieille dame qui m'ébouriffait les cheveux en m'embrassant...
Je me souviens, j'avais 5 ans cet été là.