Bon voilà...je suis pas sûr d'avoir respecté toutes les consignes...mais bon...vais pas me refaire à mon âge...
Une histoire un peu vraie...comme d'hab quoi !!
Nous nétions pas nombreux, tout au plus une vingtaine. Cela peut faire beaucoup selon les moments, mais à cet instant, au milieu de ce peu de gens que je ne connaissais pas, javais encore plus froid. Je nétais pas arrivé en avance et mes pas, malgré tous mes efforts, me semblaient raisonner anormalement dans la petite église, lorsque, le dernier, je remontais lallée centrale pour bénir le corps.
Cétait un coup de téléphone, lavant-veille, qui par hasard mavait trouvé là et mavait avisé du décès de Fred. Paradoxalement, mais ne dit-on pas que cest souvent comme ça, javais pensé à lui la semaine précédente, au travers de lactualité. Dans la presse avaient été évoqués les combats de Jénine en territoire Palestinien, un an auparavant.
Je métais installé un peu à larrière de la famille. Pendant mes sept heures de voiture Fred avait accaparé totalement mes pensées. Et là, contrecoup du trajet certainement, les yeux brûlant par le manque de sommeil, une violente aigreur destomac aiguisée par un
café avalé sur le pouce à une station-service, javais la tête douloureusement vide et complètement ailleurs.
Cela faisait exactement vingt ans que nos vies ne sentrecoupaient plus quépisodiquement. Mais le socle de notre amitié était inébranlable. Il était bâti avec de lessentiel, mais aussi du superflu et de
l'utile qui donnait de la vérité à toute relation et de la légèreté au monde que nous faisions et défaisions allègrement. Notre rencontre aurait pu être celle de potaches. Nous allions être, avec dautres, les derniers représentants dune catégorie disparue aujourdhui, sous les effets de la modernisation et de la mondialisation.
Un quart de siècle déjà
Quelques compagnies maritimes, alors, embarquaient encore des pilotins. Adjoint à lofficier de quart, ils étaient pour la plupart de futurs officiers, mais parmi eux certains
extravagants ne cherchaient ici quune initiation originale à la vie. Nous faisions, Fred et moi, partie de cette dernière catégorie. Nous nous étions rencontrés à bord dun cargo général qui battait toujours pavillon national en cette fin des années 70. Il my avait précédé quelques mois auparavant et était, en quelque sorte, pilotin titulaire, et moi, par la même, stagiaire.
Il ny avait que peu de points communs entre nous, à commencer par nos origines : lui Charentais, moi Savoyard et puis lui idéaliste et moi sans beaucoup didéaux
Ce dont nous étions certains cest que nous navions pas le moindre
désir, ni lun ni lautre, de nous éterniser ici. Par contre chacun, à notre façon, nous avions le rêve, peut-être chargé dorgueil, de prendre dans les voiles de notre vie à venir
des vents de terres lointaines.
Je sortis machinalement de léglise, à la suite de la procession, en direction du cimetière. Le brouillard et la froide humidité de cette fin dhiver nous transissaient. Une image sétait imposée alors, confortable : une nuit sans lune en mer Noire, après avoir embarqué des machines-outils à Odessa à destination du Sénégal, une brume épaisse, lourde et moite et une mer dhuile.
Il était un peu plus de minuits, jétais à la passerelle, au scope et à la corne de brume, le mousse était à la barre. Nous approchions du Bosphore. Soudain, dans le balayage du scope, une barre verte de plus dun mile marin de large, droit devant, cap opposé au nôtre et qui file, sans broncher, son allure. Et cette putain de purée de pois qui te bouffe toute visibilité. Cétait dans mes premiers quarts en solo, jai ameuté le ban et larrière-ban, mis en panne, failli demander machine arrière. Il savéra en définitive, lorsque tout le monde fut sur le pont, que lobjet de ma préoccupation était une cinquantaine de bateaux de pêche Turques, en ligne qui tiraient des chaluts
Vraisemblablement comptaient-ils, non-équipés eux-mêmes, sur le radar de leur rencontre pour éviter abordages et collisions
.Fred en a ri pendant vingt ans, et en a fait rire plus dun à mes dépens.
Jai béni le cercueil une dernière fois. Jai salué sa famille. Cétait sa sur qui mavait appelé. Nous nous étions déjà rencontrés quand il revenait de ces pérégrinations et que nos activités nous laissaient un peu de liberté.
Après notre passage dans la « mar-mar » je métais rangé. Javais trouvé mon vent. Le sien était autre. Fred avait consolidé une formation mathématique par une licence de science politique et bossait pour des agences de presse, nhésitant pas à traîner là où cela faisait mal, physiquement mais aussi moralement. Il gardait cependant une passion pour le monde de la mer, et celui-ci restait un de nos plus solide sujet de prédilection. Il était surtout lune des dernières personnes avec qui jéchangeais par écrits.
Sa dernière lettre métait arrivée, il y a un an, de Tel-Aviv. Il avait couvert linsurrection palestinienne de Jénine. Il y avait de la souffrance et une révolte dans ces propos. Il me décrivait la lutte dans ce village de réfugiés et les conditions effroyables de vie des habitants, les maisons rasées par les bulldozers avec une intensité rare. Et là pourtant, au milieu de ces mots de souffrance, Fred avait fait un clin dil à notre passé :
«
Ma deuxième nuit dans Jénine, je lai passé dehors. Javais échappé au couvre-feu imposé par Tsahal. Les tirs étaient sporadiques. Javais la trouille, mais je voulais y être. Jétais vautré dans des ruines, résultat pour partie de bombardement, pour partie du passage des bulldozers. Jai dû massoupir quelques secondes, lors dune accalmie, cétait sur le coup de deux heures du matin.Quand jai rouvert les yeux la lune se levait derrière cet amoncellement de bétons, de bois, de ferrailles et de tissus. Jai cru un instant avoir devant les yeux le cimetière de bateaux au large de St Louis : carcasses rouillées sur le flanc, ponts déchirés,
voûte de navire traversées par des axes de gouvernail, coques déchiquetées
Et tu ne me croiras pas, mais pendant quelques infimes secondes jai été rassuré
»...
J'eu le sentiment, tout d'un coup, que je ne recevrais plus de lettres...