Enfin, sur le fond, et si j'ai bien suivi tes propres arguments , je vois poindre un énorme problème : le français écrit sert à permettre la seconde forme de communication en importance (dans le sens quantitatif du terme) entre les gens de ce pays (et de quelques autres). La réforme que tu décris me parait bien, sous ses dehors "modernisateurs", de nature à creuser un peu plus le fossé de l'incommunicabilité inter-générationnelle* : en effet, si la langue écrite enseignée aux générations montantes suis cette évolution que tu semble appeler de tes vux, viendra un moment ou des gens ayant le même langage "parlé" écriront deux langues différentes, et finirons par ne plus se comprendre dans ce mode de communication. D'ailleurs, la dérive extrême qu'on peut envisager pour cette démarche est le remplacement à terme du français écrit par le essèmesse, ce qui, tu voudras bien en convenir, posera des problèmes lorsqu'on cherchera à intéresser nos chères têtes blondes à Hugo, Stendhal ou Balzac. En effet, ces auteurs auront alors un écrit tout à fait inintelligible pour ces bambins, à moins d'engager des traducteurs, ou de se résoudre à ne leur faire connaître ces textes qu'au moyen de cassettes audios.
Ce serait le cas si les rectifications de 1990 étaient profondes et nombreuses. Elles ne sont qu'un léger toilettage quasiment anecdotique (au point que je m'étonne de la proportion prise ici), n'affectent que 1200 mots au total et n'empêchent personne de recourir à l'orthographe non rectifiée. Ce n'est pas une "réforme", devenue difficile depuis la massification de l'accès à l'écrit (en gros depuis les Lois Ferry... Jules).
En France, le 18ème siècle a été une période féconde en changements dans le domaine orthographique, sous l'impulsion des philosophes qui entrent à l'Académie : beaucoup de lettres muettes supprimées (
autheur -> auteur ; debvoir -> devoir), des graphies adoptées (Voltaire impose
ai au lieu de
oi). Alors que le 19ème a été, dans lensemble, une période frileuse. Le 20ème siècle voit une succession de propositions de réformes, la plupart avortées, qui vont dans le sens du rejet de signes
devenus inutiles. Pas de quoi fouetter un chat.
Une réforme massive a eu lieu en Turquie quand Atatürk a imposé l'alphabet latin en remplacement de l'alphabet arabe, et les conséquences ont pu être le clivage que tu évoques, Pascal : aujourd'hui, par ex, la plupart des Turcs ne savent plus lire les inscriptions sur les tombes de leurs ancêtres.
Mais, plus proche de nous, une importante réforme de lorthographe a eu lieu récemment en Allemagne : mise au point en 1996, la réforme est entrée en vigueur en 1998 et est devenue obligatoire en 2005. Cest donc plus une question de volonté politique que daccès à lécrit.
Quant à l'incommunicabilité inter-générationnelle, s'il suffisait de mettre ou pas les circonflexes sur i et u pour régler le pb...
Un dernier truc sur l'écriture texto : je ne défend pas cette écriture que je suis incapable d'utiliser (et souvent de lire). Je soutiens (avec quelques autres, des spécialistes comme Jacques David) que pour pouvoir la produire, il faut avoir une assez bonne analyse (pas forcément consciente) des constituants de la langue orale. Les procédés du SMS reposent sur de vieux trucs des dactylos et de la prise de notes : abréviations, réduction aux seules consonnes, équivalents selon le principe du rébus, mélange lettres-chiffres etc. C'est plutôt malin.
Évidemment, ça ne sert pas (au contraire) à la réussite scolaire ni à l'insertion professionnelle. Mais c'est une bonne base pour s'approprier aussi l'écriture standard du français. Ceux qui s'en sortent sont ceux qui savent manier les deux codes (même imparfaitement) et choisir en fonction des situations. Cela suffit à défendre (comme je le fais, même si l'impression que je donne est autre) l'enseignement de l'orthographe (de la langue en général). Et ça tombe bien, je n'enseigne pas les maths, la philo ou les SVT, mais le français...

La question de comment on enseigne l'orthographe est un autre débat, que j'éviterai prudemment. F. de Closets s'en charge sur tous les médias depuis la rentrée.
:zen:
Je soumets à la réflexion ce que Mézeray écrit dans un projet pour le Dictionnaire de lAcadémie de 1694 :
« La Compagnie declare quelle desire suiure lancienne orthographe qui distingue les gents de lettres davec les ignorants et les simples femmes, et quil faut la maintenir par tout, hormis dans les mots ou un long et constant usage en aura introduit une contraire. »
:siffle: