Allez, je change de tempo.
Devant les fenêtres de mon bureau, il y a une magnifique place. Certainement la plus belle de toutes les places de la ville où j'habite.
Sur cette place ont troné pendant longtemps une ribambelle de magnifiques micocouliers.
C'est beau, un micocoulier.
Il y a une quinzaine d'années, les ingénieurs et autres paysagistes de la ville se sont aperçus qu'une partie de ces micocouliers centenaires étaient en train de crever.
Fatalement.
Depuis l'origine de leur présence sur la place, ces arbres majestueux avaient grandi les pieds plongés dans la merde urbaine.
Ils trempaient leurs racines dans les ancètres du tout à l'égout.
Lorsque, dans les années cinquante, la ville a refait les réseaux d'évacuation des eaux, les micocouliers de la place de la Canourgue se sont vus privés de leur aliment le plus riche.
La terre, grasse, et les eaux de ruissellement, abondantes, leur ont permis de continuer à vivre une ou deux décennies. Puis ils ont commencé leur inéxorable déclin.
Le hic, c'est que la place forme un plan horizontal qui, à son extrémité, est posé sur un rempart, et un remblai important, d'une vingtaine de mètres de haut. Et que les plus vieux des micocouliers plongent leurs racines dans ce remblai, tandis que leur tronc et leurs branches baladent leurs dizaines de tonnes à trente mètres au dessus du sol.
Si l'un d'entre eux venait à tomber, il fragiliserait toute la place.
Il y a une quinzaine d'année, donc, les techniciens de la municipalité ont abattus, en catimini, par un petit matin gris, quelques uns de ces veilleurs feuillus. Provoquant ainsi l'émoi des riverains, d'autant plus outrés qu'ils combattaient contre un projet municipal de parking souterrain, dont les arbres auraient de toute façon fait les frais.
Tolllé, accusation terrible d'"arbricides", la municipalité a reculé sur son projet de parking. Elle a implanté de nouveaux micocouliers en lieu et place des autres, assuré une dérivation d'eau souterraine pour les nourrir, consolidé le mur et ancré les racines des plus vieux.
Las.
Samedi, trois des plus récents, encore mal implantés, se sont effondrés sous la vigueur des rafales de vent terribles qui balayaient la ville.
Trois en même temps.
Trois arbres de vingt mètres de haut, s'écroulant sur la place.
Ce matin, ce drole de paysage, par la fenêtre du boulot.
La trouée dans la place, et ces tas de bois par terre.
Et puis cet après midi, une entreprise sépcialisée est arrivée. Sept hommes, quatre tronconneuses, une machine à débiter.
En deux heures, ils avaient réduits tout ça en rondins transportables.
Du petit bois et des buches.
Plus de traces sur la place.
C'est bien seul, un arbre, dans une ville.