Voilà un petit mot pour te dire ce qui me passe par la tête, depuis plusieurs mois, sans doute depuis toujours.
Je t'aime. Je te le répètais à chaque fois qu'on se parlait, tout à la fin de nos téléphones, ou sur le quai en montant dans mon train. J'ai décidé de te le dire le jour où je me suis retrouvé à l'hopital, il y a bientôt 10 ans je crois, après t'avoir vu, affaibli, rescapé de ce sale tour que la vie te jouait, comme si tu en avais besoin, en plus de tout le reste. Le médecin avait un avis plus que réservé et ne nous cachait pas qu'il fallait être là, au cas où. Nous avons tous cru que tu partais. La fin. Toutes ces choses qui restaient à se dire.
Tu me l'as dit plus tard, simplement: Elle partait avec ta fille et elle t'avait brisé le coeur. Dans tous les sens du terme. Une fois de plus. Je me suis dit que si je ne te disais pas ce qu'on n'osait pas se dire depuis si longtemps, un jour, tu ne serais plus là pour l'entendre et cette petite phrase somme tout ridicule était pour moi un plaisir un peu gêné, mais comme une prouesse face à nos silences.
Je ne te parlerai pas là de ces péripéties qui ont fait nos vies, de ces fuites, de ces silences qui duraient sur des mois, des années, de ces rendez-vous manqués. On a eu ces trois dernières années des rapprochements qui m'ont fait un bien fou, et à toi aussi j'espère: tu exhumais des moments intimes, quand tu étais enfant, adolescent ou adulte et je faisais de même. On se retrouvait. On se parlait vraiment. Nous avons souffert de ton absence et toi de la notre. Je ne m'en souviens plus, mon cerveau se vide et toi seul pouvait me tendre ces pièces du puzzle de ma vie, de mon enfance, ce grand néant. Je me comprenais mieux à ton écoute, je te comprenais mieux en te parlant de moi.
Je ne te parlerai pas d'Elles, car s'il fallait t'en parler, ce ne sera pas par lettre: je veux te parler de toi. De nous. Depuis ce jour de juin 2006, dans cette petite gare, tu refuses tout contact, avec moi ou avec J. J'ai eu de l'incompréhension (je suis si naïf), de la colère, j'ai essayé d'être cynique. Cela ne me mène à rien. J'aimerai te dire que je suis tout simplement abandonné. Avec tout ce qui peux être ressenti quand on l'est. Toute ta vie, tu as été abandonné ou tu as pu le croire à tort ou à raison. Et maintenant, sans explication, il semblerait que tu nous abandonnes. Tu coupes les ponts.
Tu te détournes sans un mot, ce n'est sans doute pas facile pour toi, tu dois avoir tes raisons j'imagine mais c'est ton problème, pas le mien. Alors je pleure, mes larmes coulent sur mes joues, je me devine il y a des années, sur le bord de la route de V, tous ces dimanche soir en voyant ta voiture s'éloigner dans la nuit, j'ai envie que tu me parles, même si ce n'est de rien, même si tout va toujours bien dans ton petit monde, envie de t'entendre. J'aimerai que cela ne soit pas si réel. Je n'arrive pas à y croire.
Je t'aime
Ton fils aîné