David Bowie est un artiste reconnaissant envers ses anciennes idoles, sans qui il ne serait jamais parvenu là où il est. Par exemple, en 1972, en même temps qu'il enregistre Ziggy Stardust, il compose "All the young dudes" pour Mott The Hoople, et il relance complètement Lou Reed en produisant "Transformer", qui allait donner au New-Yorkais un second départ. 1977 est une autre année faste, puisqu'elle voit l'Anglais enregistrer deux de ses meilleurs disques, Low et "Heroes", en même temps qu'il sort du trou l'autre grand frère américain, ex-Stooge faisant pour l'heure des allers-retours entre l'hôpital psychiatrique et son saladier rempli de cocaïne. La collaboration donne naissance aux deux albums "jumeaux" de ceux de Bowie : "The idiot", enregistré en même temps que "Low", et "Lust for life", une suite nettement plus rock garage (mais non moins géniale) façonnée en parallèle à "Heroes". Si "Lust for life" est parfait pour célébrer la grande année du punk, "The idiot", plus encore que "Low" peut-être, préfigure toute la new-wave et la cold-wave à venir, avec ce rock lancinant plombé par des sonorités et des rythmiques indus, très novatrices à l'époque, et qui se doublent en plus d'une indéniable efficacité des compos. On accorde souvent à Bowie la composition des musiques tandis qu'Iggy se serait occupé des textes. En fait, les deux hommes ont étroitement collaboré à tout dans la plupart des morceaux. Le résultat est effarant de noirceur : une sorte de rock très urbain, décadent, passant en revue quelques joies mauvaises que l'on peut encore s'offrir dans l'ère post-industrielle : "Nightclubbing", "Funtime", "China girl", "Baby", "Tiny girls". Ouais, on va draguer les filles, mais à la lumière des néons, dans le brouillard des villes, avec cette clairvoyance désabusée qui ordonne la défonce comme unique remède à ce monde qui s'écroule. La basse se rapproche du gimmick disco, la guitare cisaille l'espace de manière agressive, la batterie plombe le tout sans fioritures. Les sonorités synthétiques désormais omniprésentes ne laissent plus d'illusion sur l'avenir du rock : pseudo boîte à rythme, buzz, distorsions démentes. Un maelstrom souvent oppressant et étouffant dans lequel on est plongé sans rémission pour des morceaux parfois longs, tournant en boucle, comme autant d'évocations mornes, glaçantes et dérisoires : "Dum dum boys" et l'histoire des Stooges, l'effrayant "Mass production". Pour l'anecdote, c'est au son de ce disque que Ian Curtis, le leader charismatique de Joy Division, se passera la corde au cou. Bienvenue dans un monde où la place de l'être humain se réduit inéluctablement.
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