Ben moi c'est marrant, je viens de finir de recopier un bout de texte pour ma doudou qui est de l'autre coté de la planète, et en explorant je tombe ici, je li les derniers posts et je trouve que ça tombe à pic. Donc je vous balance le texte en question (Christiane Singer, 'Les sept nuits de la reine', le même bouquin d'où j'ai tiré ce que j'ai mis en guise de présentation of myself, je ne pense pas qu'elle me fera un procès pour ça... Hein Christiane ? ton livre est super

)
Etrangement, certains êtres n'ont pas le pouvoir de nous blesser. Leurs manies nous attendrissent, nous agacent un brin mais ne nous font pas souffrir. Nous n'avons pas de plaie à l'endroit où ils viennent frotter, pas de raison de bondir de douleur.
Ma plaie était d'une autre nature, et jamais Frau Holle ne l'effleura. Ma plaie me faisait souffrir le martyre. Souffrance vaine puisqu'elle finissait toujours par apparaître, celle que j'attendais. Ma mère.
J'ai compris depuis que ces sillons à vif étaient déjà tracés dans la mémoire de mon corps et que ma mère en avait tout juste ravivé la blessure avec la prescience pour l'emplacement des plaies cachées que n'ont que les êtres proches et les plus aimés.
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Tout cela ne faisait pas problème. Restait l'attente.
Je n'ai jamais compris pourquoi ma mère n'était pas en mesure d'indiquer à son entourage l'heure et la date de son retour. Elle sortait et voyageait beaucoup. Le lundi prévu pour son arrivée se transformait en mardi, en mercredi ou en jeudi. Même l'heure des repas lui était impossible à respecter. Sur le chauffe-plat, les volailles perdaient leur apprêt, les petits légumes leur mordant ; la glace aux marrons, son dessert préféré, se transformait doucement en une flaque immonde. Pour ce qui est de l'exactitude, rien n'eut raison d'elle, ni les remontrances, ni les larmes, ni l'indifférence feinte. Beaucoup plus tard, lorsqu'elle commença de vieillir, il y eut même un temps où elle redevint presque crédible dans ses promesses mais il n'y eut plus personne pour en prendre vraiment note. Tous les ressorts étaient irrémédiablement détendu et toute tentative de leur faire retrouver leur propriété élastique se révélait vaine. Elle avait trop tiré sur les coeurs.
En écrivant ces mots, je m'étonne de ce reste d'amertume qui vient d'affleurer. Il m'attendrit presque. Une sensation proche de celle qu'on éprouve lorsque, après la dilapidation d'un héritage, on tient soudain entre les doigts un peigne d'autrefois ou une broche ancienne qu'on avait crus depuis longtemps perdus.
La naïveté de ces reproches m'apparaît aujourd'hui. N'accomplissait-elle pas ce qu'elle avait à accomplir en nous faisant attendre ? En nous apprenant à passer outre ? A dépasser l'espérance que le salut puisse être la venue et la possession de l'autre ? Ne nous avait-elle pas montré le chemin de vie en nous délivrant de l'obsession qu'elle nous causait à mon père et à moi et en dénouant les liens mêmes de notre duplicité ? Car, ce que nous attendions d'elle n'était pas, bien sûr, qu'elle revienne à l'heure dite mais qu'elle cesse à tout jamais de partir et, nous eût-elle accordé la réalisation de ce rêve, n'eût-elle pas fait de nous ce qu'il y a de plus redoutable, des geôliers ?
:zen: